Protection juridique du mineur orphelin

En juillet 2018, Marine Monteil soutenait sa thèse de doctorat en droit privé, à l’université de Toulouse 1 Capitole, intitulée « L’orphelin mineur ».

Groupe de jeunes souriants

L’orphelinage sous le prisme du droit et de la jurisprudence

Cette plongée au cœur des spécificités des mineurs orphelins pose la question centrale de leur statut juridique – ou plutôt de l’absence de statut -, met en évidence les lacunes affaiblissant aujourd’hui leur protection, et soumet de nombreuses propositions pour contribuer à élaborer un cadre plus protecteur.

Une recherche remarquable – et remarquée – qui a également conduit Marine Monteil à intégrer récemment le Conseil  scientifique de la Fondation OCIRP.

Elle revient avec nous sur ses travaux riches d’enseignements et nous en dit plus sur son nouveau rôle auprès de la Fondation. Comment mieux protéger l’enfant orphelin ? Quel statut juridique s’applique au mineur orphelin ? Est-il suffisamment défini et protecteur au regard du risque social que représente la perte d’un parent ou des deux ?

C’est pour répondre à ces premières questions et à bien d’autres que Marine Monteil, alors doctorante en droit à l’université de Toulouse, a poursuivi ses travaux de recherche sur cette population vulnérable. Comme un prolongement naturel d’un mémoire qu’elle avait déjà consacré au cours de ses études à « La protection de l’enfant orphelin de père et de mère », elle a souhaité, dans cette thèse de doctorat, approfondir le sujet et apporter un éclairage inédit sur l’orphelinage et ses spécificités, sous le prisme du droit et de la jurisprudence.

Invisibles, absents, ignorés…

Le constat qu’elle dresse est sans appel.

L’indifférence collective qui frappe les mineurs orphelins au niveau sociétal est également de mise dans la sphère législative. Si ce n’est lorsqu’ils sont englobés avec les enfants sous tutelle, ceux appartenant aux familles monoparentales ou recomposées, force est de constater que le droit français ne leur fait aucune place.

Invisibles, absents, ignorés. Que ce soit dans le Code civil ou dans le Code de l’action sociale et des familles, et à l’instar des législations voisines ou de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, nulle trace d’une quelconque disposition juridique qui leur serait spécifiquement consacrée.

Faute de prendre en compte la singularité des mineurs orphelins, le droit ne remplit donc pas son rôle de protection envers ces enfants fragilisés par le décès d’un ou de leurs deux parents. Le droit ne parvient pas non plus à résoudre les difficultés auxquelles ces mineurs sont confrontés aussi bien sur le plan juridique qu’administratif.

L’état des lieux

Partant de ce constat, la thèse menée par Marine Monteil s’attache à faire l’état des lieux de la prise en charge des orphelins mineurs et à établir une vision d’ensemble de leur situation. Pour cela, elle distingue « l’orphelin partiel », ayant perdu son père ou sa mère, et « l’orphelin total », n’ayant plus aucun parent, ces deux catégories n’étant pas, de fait, confrontées aux mêmes difficultés factuelles, juridiques et économiques, ni soumises au même régime.

Tout au long de ce travail, le mineur orphelin demeure toujours au centre de la réflexion, à mesure que sont abordés les thèmes de la filiation, de la monoparentalité, de la recomposition familiale, de la représentation légale, de la tutelle ou encore de l’émancipation. La recherche débute par les conditions de l’orphelinage et respecte la chronologie de la vie. L’analyse se poursuit avec l’étude des différents modes de prise en charge du mineur orphelin : par son parent survivant, par un tiers en cas de recomposition familiale, par les membres de sa famille, par la collectivité. Chaque situation est alors abordée dans un ordre logique, de la plus fréquente à la plus rare.

En plus de mettre en lumière les faiblesses actuelles du cadre législatif, l’objectif de l’étude est également de contribuer à clarifier la situation juridique de l’orphelin mineur, malgré la disparité des « cas », et d’émettre des pistes d’amélioration de prise en charge sur les plans juridique, décisionnel et économique.

Dans un souci de réalisme et de pragmatisme, cet important travail a été réalisé sur la base du corpus législatif en vigueur et l’analyse des données existantes, mais aussi sur des investigations nombreuses auprès de juges, notaires, élus, personnels de l’aide sociale à l’enfance…

Par ailleurs, des questionnaires et ateliers ont également été menés avec des mineurs orphelins et des familles concernées. S’il n’est pas question d’appuyer la création d’un statut juridique propre aux mineurs orphelins – ce qui reviendrait à les stigmatiser davantage -, Marine Monteil souligne la nécessité d’adapter le statut des mineurs à chaque cas d’orphelinage. Pour ce faire, il conviendrait d’introduire dans le Code civil de nouveaux textes propres aux orphelins et de supprimer ceux qui leur sont actuellement défavorables.

À travers les recherches réalisées par Marine Monteil, les problématiques relatives aux enfants privés de parent(s) se dévoilent dans toute leur complexité et apparaissent bien plus techniques qu’on ne pourrait l’imaginer. En matière de protection juridique, elles concernent la dimension tant personnelle que patrimoniale et on relève qu’elles intéressent toutes les branches du droit civil ainsi que du droit administratif. Reste au législateur et à nos institutions à se saisir de ces questions cruciales pour leur apporter dès que possible les réponses les plus pertinentes.

Entretien avec Marine Monteil, docteur en droit privé et membre du Conseil d’experts de la Fondation OCIRP

Pour quelles raisons avez-vous choisi ce sujet de thèse de doctorat ?

Marine Monteil : Le sujet de l’orphelinage me touchait particulièrement, car il faisait écho à mon histoire familiale. C’était l’occasion, pour moi, de rendre hommage à ma grand-mère, orpheline de mère à l’âge de huit ans à la suite des bombardements de 1944 dans la ville de Sète.

Qu’est-ce qui, dans la condition et le statut du mineur orphelin, vous a particulièrement intéressée ?

MM. : La question de l’adoption de l’enfant orphelin était passionnante. À l’issue de ma recherche, je propose de limiter à la forme simple la possibilité pour le conjoint du parent survivant ou un tiers d’adopter le mineur orphelin. L’adoption plénière est une négation totale du passé familial de l’enfant qui a connu ses parents et les a aimés. À l’inverse, l’adoption simple est bien plus respectueuse de son intérêt. Elle aménage l’avenir sans faire table rase du passé.

Qu’est-ce qui vous a le plus frappée durant vos travaux de recherche ?

MM. : J’ai été particulièrement frappée par le désintérêt du législateur à l’égard des orphelins mineurs. Bien qu’ils soient encore très nombreux au XXIe siècle, le droit ne se préoccupe pas de la condition des enfants privés de père et de mère. Il ignore le fait qu’ils ont connu la biparentalité, ont un passé familial, des souvenirs ou encore des biens. En outre, les règles qui concernent les mineurs orphelins, en particulier celles de la tutelle, sont insuffisamment conceptualisées. Les dispositions qui leur sont applicables sont dispersées dans le Code civil et ne leur sont jamais propres.

« Le droit peut corriger l’exclusion dont souffrent les enfants orphelins »

 

Votre thèse de doctorat formalise un certain nombre de propositions visant à clarifier le statut juridique du mineur orphelin et à renforcer sa protection. Selon vous, quels sont les axes d’amélioration prioritaires ?

MM. : Il est primordial de préciser les notions de vacance de tutelle et de délégation indirecte de l’autorité parentale. Ces dernières offrent un « sous-statut » au mineur entièrement orphelin : une protection matérielle privée d’une protection juridique. Personne n’assure sa représentation légale. Cela pose de réelles difficultés dans la mesure où l’orphelin a vocation à recevoir des biens.

Comment faire en sorte que ces améliorations voient le jour ? Quelles institutions devraient se saisir de ces questions ?

MM. : Pour être adoptées, ces différentes propositions juridiques doivent être soutenues par des organismes officiels qui contribueront à les ériger en projets politiques. L’orphelinage est un sujet inédit, original et actuel qui mérite la mobilisation de tous.

Comment vous êtes-vous rapprochée de la Fondation OCIRP ? Comment l’avez-vous connue ?

MM. : J’ai connu la Fondation OCIRP à l’occasion d’un colloque qu’elle organisait en décembre 2012. C’est donc tout naturellement, que j’ai souhaité rejoindre le Conseil scientifique de la Fondation afin de poursuivre le travail entrepris au cours de ma thèse et de continuer à défendre les intérêts des mineurs orphelins. Dans mes nouvelles fonctions, je souhaite notamment pouvoir apporter un regard de juriste aux problématiques de l’orphelinage.

En savoir plus sur Marine Monteil…

Marine Monteil est docteur en droit.

Elle a soutenu, en juillet 2018 à Toulouse, après  six années de recherche, sa thèse de droit privé ayant pour titre L’orphelin mineur, sous la direction de Claire Neirinck, professeur émérite à l’université de Toulouse 1 Capitole.

Pour financer son doctorat, elle a dispensé divers enseignements et a travaillé à la chambre spéciale des mineurs en qualité d’assistante de justice.