Le vécu de jeunes après le décès d'un ou des parents

Ce dossier fait suite à la journée d’étude « Le vécu de jeunes après le décès d’un ou des parent(s). Expérience sociale, soutiens et acteurs à l’épreuve de la recherche sur les orphelins en France », organisée par la Fondation OCIRP le 3 octobre 2018.

Des gens heureux applaudissent au théâtre

Une journée d’étude inédite

Le 3 octobre 2018, la Fondation OCIRP et le laboratoire du Centre d’Analyse et d’Intervention sociologiques (CADIS) de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS) ont organisé une journée d’étude sur les orphelins en France, intitulée : « Le vécu de jeunes après le décès d’un (des) parent(s). Expérience sociale, soutiens et acteurs à l’épreuve de la recherche sur les orphelins en France ».

Son objectif ? Mettre en lumière la situation sociale des jeunes orphelins et entamer une réflexion globale sur leur parcours et les conséquences psychologiques, sociales et économiques du décès précoce d’un parent, avec tous les acteurs concernés, à commencer par les enfants, adolescents ou jeunes adultes, orphelins, et leur parent.

« Avec cette journée, nous espérons entamer une réflexion sur la situation des orphelins et mettre en place des outils à destination des professionnels, souvent très démunis face à ces enfants ou jeunes en deuil. »

Emmanuelle Enfrein, responsable de la Fondation OCIRP

La Fondation franchit un nouveau cap

« A terme, nous voulons devenir un centre de référence sur le sujet de l’orphelinage. »

Pierre Mayeur, directeur général de l’OCIRP

Placée sous le signe de l’action, cette journée d’étude a été l’occasion de prendre connaissance des projets de recherche soutenus par la Fondation OCIRP, de l’enquête « École et orphelins » et du partenariat initié avec l’INED.

Un enfant par classe est orphelin !

C’est tout naturellement que l’équipe de l’INED a ouvert les débats en présentant l’évolution de la population des orphelins en France.

  • Les orphelins représentent un élève par classe au collège et au lycée.
  • 1 jeune sur 20 est orphelin à 18 ans.
Chaussures de sport et flèches pointant dans des directions différentes sur un sol asphalté, concept de choix

Prévenir les risques du deuil chez de jeunes enfants

Quand de jeunes enfants perdent leurs parents, ils plongent dans un profond stress qui s’appuie sur de nouvelles croyances :

« Je dois être sage pour consoler maman. »

« Je dois devenir une vraie petite maman pour aider papa. »

A l’adolescence, cette tension augmente et entraîne parfois une réaction défensive accrue. Des accompagnements et prises en charge sont parfois alors nécessaires.

Un premier exemple est donné par le groupe thérapeutique « La Petite Fille aux Allumettes », qui vise à aider parents et enfants à mieux réguler leurs émotions autour de la perte. « Ces groupes de parole sont bénéfiques car ils évitent que la perte ne devienne un élément constitutif de la construction identitaire de l’enfant. », souligne Marthe Ducos Suares, doctorante en psychologie. Ce que confirme Hélène Romano, docteur en psychopathologie : « Un enfant qui va mal ne parle pas forcément. Il faut l’aider à élaborer sa pensée car il a souvent peur et culpabilise. Parfois, les troubles liés à ce décès ressurgissent bien plus tard ».

Le second est celui des ateliers de soutien aux enfants et parents endeuillés « Histoire d’en Parler », au CHU de Toulouse. Avec ces ateliers, le psychiatre Jean-Philippe Raynaud espère aussi mieux évaluer leurs besoins et donner ainsi aux personnels soignants les outils nécessaires à la prise en charge de ces situations compliquées. Il rappelle par ailleurs que « le deuil est un processus normal, qui nécessite un travail psychique avec différentes phases ». Mais La seule volonté ne suffit pas, « il faut être formé et avoir des ressources pour bien les accompagner » conclut Hélène Romano.

Portrait de trois enfants joyeux assis sur le canapé dans le salon à la maison.

Former les professionnels au deuil

Cette question de la formation est aussi un des enjeux dans les domaines du travail social et de l’école.

Partant du regard d’adultes orphelins précoces en Isère, Martin Julier-Costes, socio-anthropologue, explique que « tous les interviewés ont témoigné d’une tendance à reprendre la main sur leur vie », même si certains moments restent délicats comme la naissance du premier enfant, un déménagement, ou encore un mariage. Le constat qu’il fait de l’absence d’associations pour les soutenir se cumule au manque de connaissances et d’outils des travailleurs sociaux pour réagir de manière adaptée. Pallier cet état de fait est une urgence !

À l’école[*] aussi, le manque de formation est patent. 62 % des enseignants ont dans leur classe un élève qui devient orphelin en cours d’année scolaire, et 72 % sont confrontés à cette situation pendant leur carrière. Ce résultat provient de l’enquête « École et orphelins » Fondation OCIRP/IFOP de 2017. Confrontées fréquemment à cette situation, les enseignants réagissent souvent en fonction de leur expérience personnelle et de leur propre ressenti.

Les enseignants sont en demande de repères : 85 % des enseignants interrogés aimeraient avoir un guide pour mieux réagir dans ce genre de situations. Ils sont aussi 63 % à estimer que le sujet de la mort devrait être abordé à l’école.

Face au mode d’information des enseignants souvent aléatoire, et au risque de maladresse à l’encontre des élèves orphelins, il conviendrait d’envisager « une sorte de protocolisation institutionnelle, qui ne soit pas une solution clé en main mais leur donnerait une direction quant à la marche à suivre selon les situations et définirait le rôle et la place de chacun », explique le sociologue du pôle Études et Recherche de la Fondation OCIRP.

[*] Enquête « École et Orphelins », Fondation OCIRP/Ifop, Paris, 2017.

Une enfant triste tient un découpage en papier qui représente une famille.

Des difficultés psychologiques prouvées chez les enfants orphelins

Les deux recherches en psychologie de l’éducation à l’Université de Lille, l’une de Jérôme Clerc et l’autre de Célénie Brasselet, apportent un début d’explication quant à l’impact sur la scolarité.

Les exercices de mémorisation qui nécessitent un moyen ou un fort degré de concentration montrent que les enfants orphelins rencontrent plus de difficulté, explique Jérôme Clerc. Cela se traduit par des problèmes dans les apprentissages et s’ajoute à des difficultés d’attention et de concentration.

La psychologue Magali Molinié souligne qu’elles peuvent s’étendre « sur les relations sociales, la planification des actions, la vie sociale avec les copains ».

Ces résultats suggèreraient également une influence sur les choix d’études supérieures et d’orientation professionnelle : « les élèves qui se sentent moins compétents vont davantage se fixer des buts d’évitement pour ne pas risquer l’échec » explique Célénie Brasselet.

Une invitation à davantage socialiser le deuil et les conséquences du décès précoce d’un parent.

Famille multigénérationnelle jouant au football ensemble à l'arrière de leur jardin, en riant les uns avec les autres.

Un engagement attendu des institutions

Un jeune sur trois pris en charge par l’aide sociale à l’enfance est orphelin

Les travaux sociodémographiques menés par l’équipe d’Isabelle Frechon attestent que le domaine de la protection sociale à l’enfance est particulièrement concerné : 31 % des jeunes y sont orphelins !

Pourtant, leur prise en compte y compris dans les pratiques des professionnels est inexistante : « les travailleurs sociaux ont une vraie réticence à considérer l’orphelinage comme une situation particulière. L’accès à l’histoire de ces enfants est difficile. Les professionnels ne disposent pas d’information et ne sont pas formés pour traiter ces cas particuliers. Ils se replient alors sur leur propre perception », explique Céline Jung, sociologue.

Au terme de cette journée, Jean-Philippe Vallat, politiste et directeur des études à l’Union nationale des associations de familiales (UNAF), et Gilles Séraphin, sociologue, professeur à l’Université Paris-Nanterre, ont rendu leur synthèse.

« Les orphelins représente une population aux conditions modestes, confrontée à des enjeux matériels qui sont problématiques et cette fragilité justifie une action sociale », souligne le premier. Mais au sein de la politique familiale, l’orphelinage et le veuvage sont confondus avec la monoparentalité alors que les problématiques sont différentes par rapport aux séparations conjugales, y compris sur le plan économique et matériel.

Gilles Séraphin s’interroge sur la façon de répondre à ces besoins spécifiques, qui devraient donner droit à un accompagnement tout au long de la vie et non uniquement après le drame. Cela commande de former l’ensemble des professionnels de l’Éducation nationale, de la protection de l’enfance et de l’accompagnement social. Cela se fera en articulant les différents dispositifs publics et en reconnaissant le rôle majeur des associations de soutien spécialisé. L’enjeu est de favoriser la circulation de l’information sans déposséder l’enfant de son histoire, et de renforcer les moyens consacrés à la médecine-psychologie scolaire et à la formation continue des enseignants.

Les actes et le reportage de la journée

Depuis près de dix ans, la Fondation OCIRP fait de l’orphelinage le cœur de son action. Elle a mené une enquête «École et orphelins» et soutenu plus de 200 projets. Mal connu, peu pris en compte par les sciences sociales, le sujet est pourtant crucial et nécessite d’agir et de faire évoluer les pratiques, comme l’ont démontré les intervenants de la journée d’étude.

Le 3 octobre 2018, la Fondation OCIRP et le Centre d’analyse et d’intervention sociologiques (Cadis) de l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) ont organisé un évènement inédit en France : une journée d’étude dédiée au vécu des jeunes orphelins et à la prise en compte de leur situation par l’ensemble des acteurs concernés, à commencer par les personnels éducatifs et les travailleurs sociaux.

« Il existe très peu de travaux de recherche sur le parcours des jeunes concernés et les diverses conséquences du décès précoce d’un parent. L’objectif de cette journée était multiple : établir un état des connaissances issues des études que nous soutenons, favoriser les échanges et repérer les bonnes pratiques. »

Emmanuelle Enfrein, responsable de la Fondation OCIRP

Les actes de la journée d'étude du 3 octobre 2018

Le vécu de jeunes après le décès d’un ou des parent(s). Expérience sociale, soutiens et acteurs à l’épreuve de la recherche sur les orphelins en France, journée d’étude organisée par la Fondation OCIRP le 3 octobre 2018. (PDF - 2.48 Mo)

« Le vécu de jeunes après le décès d’un ou des parent(s). Expérience sociale, soutiens et acteurs à l’épreuve de la recherche sur les orphelins en France », journée d’étude organisée par la Fondation OCIRP le 3 octobre 2018 : le reportage vidéo